De Durbach schnôpsbütik.
EXTRAIT DU JOURNAL D’AGRICULTURE PRATIQUE DE JARDINAGE ET D’ÉCONOMIE DOMESTIQUE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION DE M. ALEXANDRE BIXIO DOCTEUR EN MÉDECINE, N°6, DEUXIÈME ANNÉE, DÉCEMBRE 1838 VOYAGE AGRICOLE EN LORRAINE IIIE PARTIE
En quittant Saint-Avold et avant d’arriver à Longeville, premier village sur la route de Metz, nous vîmes un étang desséché et semé en ray-grass d‘Italie depuis plusieurs années. La végétation en paraissait encore belle et vigoureuse, mais le gazon n’était pas épais, ou plutôt il n’y avait pas de gazon proprement dit, chaque pied ou toquée était séparé, on voyait même quelques espaces entièrement vides. C’est en général l’inconvénient que présente le ray-grass d’ltalie, et on pourrait dire jusqu‘à un certain point, toutes les graminées semées seules; en vieillissant elles s’éclaircissent, surtout si l’on n’a pas soin de les faire pâturer de temps à autre. Le moyen que l’on a quelquefois proposé pour y remédier, de laisser une année les plantes venir à graines afin qu’elles se ressèment spontanément, ne fait que hâter la détérioration de la prairie. J‘espérais rencontrer à Longeville le propriétaire de cet étang, M. Williaume, ancien élève de Roville et agriculteur fort distingué. J’appris que, décidé à substituer en grande partie les bœufs aux chevaux comme bêtes de trait, il était parti avec plusieurs autres cultivaleurs, ayant le même projet, pour la petite ville de Birkenfeld, près Trêves, où se tiennent des foires considérables de bêtes à cornes. Cette modification des attelages n’est pas un fait isolé ; elle se remarque dans une grande partie du nord-est de la France. Une foule de cultivateurs commencent aujourd’hui à l’adopter: il ne peut en résulter que de très bons effets sous tous les rapports; le débouché que l’on ouvrira ainsi aux bœufs de trait en favorisera l’élève, tandis que d’un autre côté le grand nombre de bœufs de réforme alimentera nos boucheries et donnera de l’extension à la branche d’industrie si importante de l’engraissement, même parmi les petits cultivateurs. Quant aux chevaux, si on en élève et si on en tient moins, ceux qu’on aura n’en seront probablement que meilleurs. Or pour tout bétail, mais surtout pour les chevaux, la qualité vaut mieux que la quantité. Nous ne pouvions passer à Longeville sans visiter le bel établissement agricole et industriel de M. Durbach, frère de celui dont j’ai en occasion de vous parler dans ma lettre précédente. Ce propriétaire cultive et possède en outre une des plus belles distilleries de pommes de terre du pays. Il a deux ateliers, l‘un dans le bas et l’autre au château ; ce dernier, alimenté uniquement par les produits de l’exploitation, n’est pas soumis à l’exercice. Ses appareils sont également ceux de Solimoni, mais avec quelques nouvelles améliorations; ainsi les vapeurs spiritueuses, pour se rafraîchir, passent en dernier lieu entre des lames de métal suret sous lesquelles circule de l’eau froide. On assure que le refroidissement instantané produit par cette disposition est une des causes de la bonne qualité des esprits fabriqués ici. Dans chaque atelier M. Durbach a deux alambics, l’un pour l’eau-de-vie, l’autre pour l’esprit. Il cuit ses pommes de terre comme à l’ordinaire, à la vapeur et dans un tonneau ou cuve à peu près cylindrique, placé debout; mais la vapeur, au lieu d’y entrer par le bas, y pénètre par la partie supérieure; le fond de cette cuve est percé de trous, et la vapeur, lorsqu’elle ne peut plus tenir dans la capacité du vaisseau et après avoir abandonné une partie de son calorique aux pommes de terre, sort par cette issue, la seule qui lui soit ouverte. M. Durbach est d’avis qu’avec cette disposition les pommes de terre cuisent plus également que par la méthode ordinaire, qui consiste à faire entrer le tuyau conducteur de la vapeur par la partie inférieure du tonneau. Cette opinion parait du reste confirmée par l’expérience. Les bouges ou cuves dans lesquels s‘opère la fermentation sont de petite dimension. Autant que je me le rappelle, on distille chaque jour le contenu de quatre de ces bouges. Il paraît aujourd’hui bien avéré que les bouges de grande dimension ne conviennent pas à la fermentation du vin de pommes de terre et en général de toute espèce de liquide ne contenant qu’une quantité minime de matière sucrée. Une exquise propreté régnait dans tout cet établissement, que, pour la perfection des appareils et surtout pour la qualité du produit , je mets fort au-dessus de la plupart des établissements de ce genre que j’ai vus en Allemagne. M. Durbach fait une très grande différence dans la valeur des pommes de terre selon les variétés et surtout selon la nature du terrain qui les a produites. Les variétés hâtives sont en général très préférables aux tardives, et les pommes de terre venues dans les sols sablonneux ou peu fumés sont infiniment supérieures à celles de terres fortes, qu’il rejette d’une manière absolue. M. Durbach vendait alors ses esprits 317 de 70 à 75 francs l’hectolitre; sa production annuelle varie entre 800 et 1000 hectolitres. Ce produit n’est naturellement pas le seul qu’il tire de la distillerie. Il engraisse en outre des bœufs avec les résidus; il en avait alors 65 plus ou moins gras ; quelques uns appartenaient à des bouchers des environs qui lui paient un franc par jour et par bœuf. La plupart de ces bêtes viennent du pays de Trêves, d’autres des environs de Bitsch, quelques-uns des Vosges; ces animaux reçoivent des résidus avec du foin, des tourteaux d’huile, quelquefois aussi du grain. M. Durbach a pour l’emploi des résidus une méthode dont j‘avoue ne pas être partisan. Après les avoir laissé reposer, il fait écouler l‘eau et ne garde que le fond qui contient les matières solides; cette eau se répand dans des prés situés au-dessous de la distillerie et qui paraissent s’en trouver parfaitement bien. Je lui fis observer qu’il pourrait, ainsi que cela se pratique en Allemagne, faire détremper dans les résidus de la paille hachée, du foin, des siliques de colza, etc., et que de cette manière il obvierait à la nature trop aqueuse des résidus, tout en rendant plus nutritifs et plus appétissants pour le bétail des fourrages de peu de valeur; il me répondit qu’il tenait à donner à ses bêtes une partie de leur nourriture en aliments secs,et que, du reste, cherchant à les pousser autant que possible à la graisse, il évitait de leur faire consommer des matières peu substantielles comme la paille et les siliques. Je n’en persiste pas moins à croire qu’il y aurait moyen d’employer d’une manière plus profitable cette eau de résidus, dût-on en nourrir des vaches laitières dont elle aurait servi à détremper les fourrages. L’engraissement des bœufs et par suite la distillerie seraient, je pense, encore plus profitables à M. Durbach, si son exploitation agricole avait plus d’importance, à cause de la grande quantité de fumier que lui procure cette branche d’industrie. Et cependant, loin de trouver qu’il en a trop, il a pris en pension des chevaux d’équipages du train pour tout le temps de la nourriture au vert, afin, disait-il, d’augmenter ainsi le nombre de ses fabricants de fumier. Le fait est que l’engrais est à peu près comme l’argent; jamais on n‘en a trop. Les terres de M. Durbach sont de nature légère,mais bonne, et d‘ailleurs améliorées par une excellente culture et de très fortes fumures. L’assolement qu’il suit est calculé sur une production abondante de pommes de terre; il est de 6 ans:
1ere année, pommes de terre.
2e — orge.
3e — trèfle.
4e — blé.
5e — pommes de terre.
6e — orge.
Il a éprouvé que, dans son sol, le blé ne réussissait pas après les pommes de terre; aussi lui a-t-il substitué l’orge. Outre ces terres en assolement réglé, il en a aussi une certaine étendue en luzerne, qu’il conserve aussi longtemps qu’elle donne de beaux produits. Dès qu’elle faiblit, il la rompt, la fait rentrer dans l’assolement et en fait sortir une égale étendue du terrain qu‘il avait en soin d‘ensemencer en luzerne dès l’année précédente. Les pommes de terre sont cultivées à la main ; comme la main d’œuvre n’est ni rare ni chère, M. Durbach estime que l’augmentation de dépense qui résulte de cette méthode est à peu de chose près compensée par la meilleure préparation que reçoit le terrain pour les récoltes suivantes et peut-être aussi par un accroissement de produits. J‘ai lieu toutefois de douter de cette dernière assertion. M. Durbach se sert de la charrue du pays ainsi que de la charrue anglaise; il n’a point éprouvé de difficultés pour l’introduction de ce dernier instrument. Le château, résidence de M. Durbach, et où se trouvent également une distillerie et une partie de ses bœufs, mériterait une description particulière car il est remarquable à plusieurs égards. Mais vous savez, monsieur, que les châteaux ne sont pas mon fort ; je me bornerai à vous dire que celui-ci était une ancienne abbaye de je ne sais quel ordre monastique, laquelle abbaye fut construite par corvées, comme il était de règle dans le bon vieux temps; aussi les murs, quoique bâtis en pierre de taille tirées de carrières éloignées, sont d’une épaisseur formidable et paraissent avoir été établis dans la prévision d’un siège. Ce château est vaste et forme avec les bâtiments d’exploitation plusieurs cours spacieuses; sa situation à mi-côte de la montagne est charmante; il domine au loin la jolie vallée de Saint-Avold. En général dans tout pays on est obligé d’admirer le jugement, le bon goût, l’entente parfaite que mettaient les moines dans le choix de l’emplacement et dans la construction de leurs retraites aussi, toutes choses égales d’ailleurs, je donnerais toujours la préférence à un ancien couvent sur un ancien château. On trouvera ordinairement dans les premiers ces mille petits détails de confort pour lesquels nos bons aïeux étaient bien inférieurs aux saints cénobites, et qu’ils méprisaient même, probablement parce qu’ils n’avaient pas fait vœu de s’en passer. Les caves surtout sont presque toujours magnifiques; celles du château de Longeville ne le cèdent à aucune autre pour la grandeur, la construction et la disposition; c’est un second château sous terre, et M. Durbach, qui y trouve l’avantage de conserver intactes et sans frais ses immenses provisions de pommes de terre et les produits de sa distillerie, est tenté. je pense, de bénir tous les jours la prévoyance de ses prédécesseurs. Les jardins, qui sont derrière le château et qui descendent par des déclivités variées jusque dans le vallon , sont disposés à la manière anglaise, mais de façon à donner des produits assez considérables en fourrages, en fruits et en bois.
Obligés de courir après notre véhicule qui nous avait devancés, nous prîmes en quittant le château de Longeville, l’ancienne route de Metz qui va rejoindre la nouvelle au haut de la côte. En gravissant cette route qui s’élève à pic sur la montagne, je ne pus m‘empêcher de songer aux bizarreries de nos aïeux. Ces bonnes gens faisaient les rues de leurs cités aussi tortueuses que possible et ne semblaient se rappeler que la ligne droite est le chemin le plus court d’un point à un autre que quand il s’agissait de gravir une montagne. Six chevaux suffiraient à peine pour tirer un millier pesant sur cette vieille route, tandis qu’un cheval de roulier ordinaire conduit sans gêne ses 1,500 sur la nouvelle. […]