LANGUE ET LITTÉRATURE DES ANCIENS FRANCS par G. GLEY, p.d.c.d.s.D. 181
Lorsqu’au commencement du cinquième siècle les Francs sortirent des forêts de la Grande-Germanie , pour passer le Rhin, ils parlaient une langue dont les sons n’avaient aucun rapport avec les dialectes alors en usage parmi les peuples qui habitaient les rives de la Seine , du Rhône et de la Loire. C’est dans cette langue , appelée par leurs auteurs, francique ou francisque, qu’ils avaient , avant de quitter leurs anciennes demeures, rédigé leur loi salique : c’est la langue que parlait Clovis; c’est celle que l’on parlait à la cour et à l’armée , sous les rois mérovingiens ; Charlemagne , ce chef puissant de la famille des Francs , avait recueilli et transcrit de sa main les poésies antiques , dans lesquelles ses pères avaient chanté les hauts faits de leurs guerriers; il s’était même occupé à rassembler les règles auxquelles leur langue était soumise , cette langue était celle de Louis-le-Débonnaire , qui parlait d’ailleurs avec une égale facilité le grec et le latin : c’est dans cette langue, aussi bien qu’en langue romane, que les fils de ce prince se jurèrent, en 842 et 860 , paix et amitié dans les plaines de Strasbourg et de Coblentz ; au milieu du dixième siècle, on fut encore obligé de traduire un discours latin en langue francique, pour le rendre intelligible à un de nos rois. Ces faits, que je me borne à indiquer ici , et d’autres que je développerai plus bas, provoquent des questions dont la solution ne peut être étrangère à l’histoire de notre littérature. Quels sont donc, me dira-t-on, les caractères propres et distinctifs de la langue francique? Quels rapports y a-t-il entre elle et les dialectes dont se servaient les Goths, les Danois, les Normands, les Anglo – Saxons, les Suèves et les autres peuples qui , avec les Francs , formaient l’antique nation des Germains? Nous reste- t-il assez de monuments écrits en langue francique , pour pouvoir indiquer , d’une manière fixe et déterminée , les lois grammaticales par lesquelles elle est régie ? Quelle fut sa marche sous les deux premières races de nos rois et pendant les deux premiers siècles de la troisième dynastie? A quelle époque les monarques Francs ont – ils entièrement abandonné la langue de leurs pères , pour ne plus se servir que de celle que parlent les Francs d’aujourd’hui? Par quelle gradation la langue francique a-t-elle dis paru de la France occidentale? Quelles traces y a – t – elle laissées ? Jusqu’où s’est elle retirée ? Dans quel rapport se trouve t-elle avec les dialectes aujourd’hui en usage dans les Pays – Bas, en Angleterre dans les trois royaumes du nord, en Allemagne, et dans les contrées où se sont établis les autres peuples Germains d’origine, et frères des Francs? Ceux – ci, élevés et ne vivant que dans les camps, ont – ils méprisé cette gloire que les Grecs et les Romains avaient acquise par la culture des sciences et des belles – lettres? Quels sont les hommes qui parmi eux se sont illustrés par leurs productions littéraires ? Que nous reste – t – il de leurs ouvrages? Quels caractères particuliers nous présente leur poésie héroïque et sacrée ? Ces questions et beaucoup d’autres qui naissent du même sujet , sont importantes sans doute pour les annales de la grande famille européenne; elles ont un double intérêt pour ceux qui veulent étudier l’histoire de notre littérature, celle de la monarchie que les Francs ont fondée, et les monuments franciques qui peuvent être cachés dans nos archives et dans nos bibliothèques. Jusqu’à présent on n’a fait parmi nous que très peu d’efforts pour résoudre ces questions. La langue et la littérature des Francs appartenant aux siècles de la barbarie , nous nous sommes accoutumés à n’en parler qu’avec un mépris dédaigneux ; aujourd’hui on a épuisé tous les genres d’écrire , on se copie , on se répète, et personne ne pense à rien publier sur un sujet qui tient de si près à la gloire de la nation.